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Extrait d'une publication dans Cahiers de Gestalt-thérapie "formes et actes" 2007/1 (n°20), Exprimérie, Collège Européen de Gestalt-thérapie.

« Expérimenter - et ne pas représenter »

                                                                                                Renate Faulhaber
 

 

D’un coup, je m’entends dire cette petite phrase

 

C’était lors d’un atelier que je donnais.

Un atelier annoncé comme atelier d’expérimentation :

« Donner une place aux Arts Plastiques dans la Gestalt-thérapie »

J’étais sous tension, 18 participants, je cherchais mes mots - et puis, cette phrase !

 

En fait, ce n’était rien de spécial cette phrase.

Mais d’un coup, comme c’était dit devant un public, qui l’a entendu et qui a agi, je pouvais comprendre sa force :

 

Ne plus savoir, ne pas savoir - déjà ça, toute une histoire…

Ne pas avoir d’idée préconçue du résultat, d’une belle œuvre.

S’ouvrir à se laisser surprendre.

Accepter l’inattendu, même les belles « fautes » et les choses « ratées » !

Être plutôt à l’écoute de l’instant présent, de mon état, de mes ressentis.

Laisser s’installer le mouvement et le suivre.

Être à l’écoute des matériaux.

Qu’est-ce que ce contact avec la matière me fait?

Comment et où suis-je touchée?

Comment ai-je envie de réagir?

 

Je commençais cet atelier avec une nouvelle idée :

Je proposais de découvrir, de s’approprier d’abord le papier, le fond.

Il y avait des grandes surfaces de papier kraft, qui invitaient à engager tout le corps dans l’expérimentation.

Puis, je voyais des choses tellement diverses se dérouler devant mes yeux :

Déjà, ça commençait avec un bruit incroyable, celui du froissement, du déchirement, de la rencontre entre l’air et le papier, évoqué par des gestes de tous les états.

Il y avait des papiers qui se transformaient en ailes, en tapis volants, en sacs de couchage, en châteaux de sable… en nids. Et il y en avait qui devenaient de vraies peaux vivantes… qui se mettaient à respirer sous les mains de l’animateur du papier.

Souffler de l’âme dans la matière…

Donner vie, naissance… créer… et oui !

Être dedans, toucher la matière, se laisser toucher par la matière.

Et puis la couleur, le liquide ou les pastels :

« De quelle couleur ai-je besoin? »

Frottées profondément dans le papier.

Lavées.

Comme des gestes qui font le ménage, faire le ménage.

Aussi, le papier touché avec délicatesse, des petites touches, touchers, retouches.

Qu’est-ce que je ressens?

Tout petit, tout près.

Je fais un geste, je vois sa trace.

Voyager d’instant en instant.

Dans les taches de couleurs qui se transforment progressivement.

Le petit pinceau qui suit les courbes et plis gigantesques du papier - des routes autour d’un rocher ?

Mais non, c’est un nid… Mais non, c’est un corps vivant que je caresse.

 

« Lorsqu’on manipule la matière, le souvenir devient vivant. » (PHG p. 121)

 

Entrer avec tous ses sens, découvrir - sans chercher du sens.

Se souvenir, accueillir les souvenirs.

Les transformer.

Entrer en profondeur, ressortir.

Prendre la distance, regarder.

 

Nommer, puis partager.

 

 

La matière - le corps - le mouvement

 

Je choisis des matériaux qui se travaillent facilement et spontanément :

la gouache, les pastels secs et gras, le fusain, le graphite et l’argile.

En contact avec la matière, on est plus facilement dans l’instant.

Avec les matériaux dans les mains ou sous les pieds on est déjà presque dedans.

Puis, passer à l’action à partir du ressenti :

Kepner : « Le processus qui transforme les ressentis internes en mouvements expressifs fait franchir à une partie de l’individu la frontière qui sépare l’organisme de l’environnement […] Les ressentis se transforment automatiquement en expressions à partir du moment où l’environnement est suffisamment réceptif : le désir pousse l’individu à établir un contact, la colère se transforme en cris, la tristesse se traduit par des pleurs. […] Le ressenti devient expression dans l’environnement et cet ensemble constitue l’émotion.»

Il est nécessaire d’engager le corps, de le mettre en mouvement, pour prolonger et projeter ses gestes dans une matière.

Pour commencer j’oriente souvent l’attention vers ce qui se passe dans le corps.

S’il y a une manifestation, je demande s’il est possible de la décrire :

« C’est comment ? Ça a une couleur ? Laquelle ? Comment est la densité ? Y a-t-il un mouvement ? Un geste ? Un son ?... »

Puis, pour faire le lien entre expression dans la matière et vécu intérieur, je réoriente souvent pendant le processus l’attention à nouveau vers ce qui se passe dans le corps.

Puis pour terminer, il me faut au moins poser cette légère question « comment ça va ? » ou je demande plus de précisions.

Kepner : « Il faut que le mouvement se base sur la sensation et le ressenti, et qu’il permette à l’individu de former un contact approprié avec son environnement. »

Zinker : « L’une des façons pour qu’une personne se transforme, c’est qu’elle agisse, qu’elle bouge son corps, qu’elle soit expressive, vivante. J’ai appris que la conscience ne peut pas exister si elle reste à l’intérieur de l’individu, qu’elle a besoin de s’affirmer dans l’activité, et de trouver ensuite un certain achèvement. »

 

Vivre

 

Mon regard de thérapeute est influencé par une longue période d’expérimentations avec photo, vidéo et performance et plus tard avec la peinture et le dessin. Aujourd’hui je suis convaincue que d’avoir eu le privilège de pouvoir donner autant de place à la création m’a sauvé la vie ! Ce côté artiste qui aime faire passer l’autre à l’action est toujours présent pendant les séances de thérapie.

Ce que j’aime surtout, c’est voir la vie re-vibrer… être témoin de formes qui surgissent, qui se forment, se déforment, disparaissent ou se reforment.

Souvent je me sens complice pendant ces expérimentations, dans le souhait de soutenir excitation et expression.

 

Expérimenter – c’est entrer dans la qualité du moment, comme un pionnier, qui explore un terrain vague, parfois dévasté - parfois un jardin, prêt à accueillir.

C’est surtout découvrir sa capacité à pouvoir transformer.

Un tas d’ordures en jardin fleuri, en univers sous-marin avec ses animaux.

Et encore…

 

 

 

 

Renate Faulhaber

Diplômée des Beaux Arts en Allemagne,

en parallèle formations en danse et théâtre.

Diplômée de l’IFGT.

Gestalt-thérapeute à Paris.

 

 

 

Bibliographie:

 

PERLS Frederick, HEFFERLINE Ralph, GOODMAN Paul (1951), Gestalt Therapy. Traduit par ROBINE Jean-Marie (2001), Gestalt-thérapie, L’exprimerie

 

KEPNER James (1993), Le corps retrouvé en psychothérapie. Traduit par MOREAUD Coraline, Éditions Retz

 

ZINKER Joseph, (1983), Searching for clarity. Pilgrimage

Génération Tao 1997

Génération TAO 1997

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